par Hazem H. Hanafi jeudi 13 mai 2010
C'est moi qui souligne.
Comment le fédéralisme pourrait-il répondre à certains des défis actuels auxquels le monde arabe est confronté ? Réussirait-il mieux à gérer, tempérer ou résoudre les conflits qui hantent encore cette région ? J’examinerai le défi le plus aigu : le conflit israélo-arabe.
La complexité de ce conflit particulier avec ses aspects historique, religieux, politique, légal, culturel et socio-économique n’a pas besoin d’être soulignée.
Au coeur du problème il y a deux versions contradictoires sur le « nous » et « les autres ». Pour les Arabes, Israël représente un projet d’installation coloniale auquel il faut résister. Pour les Juifs, il s’agit du projet de construction d’une nation qu’il faut protéger. Il n’est pas facile d’aller vers un compromis et le dilemme entre résistance et coexistence continue à hanter les différentes solutions à ce conflit irréductible.
La pierre d’achoppement réside dans la dispute concernant un territoire géographique spécifique. L’histoire, la religion et le droit ont été utilisés par chacune des parties pour justifier les revendications et les contre-revendications [1], la plus sérieuse étant que l’autre est juste une « communauté imaginaire » [2]. Les solutions ont varié entre partager le pays sous la forme d’un Etat [3] ou d’une organisation fédérale [4] ou en divisant le pays en deux Etats séparés [5] ou encore à travers des institutions fédérales et/ou confédérales. [6] Des solutions fédérales sont communes à ces deux approches qui seront au centre de ce texte. Il est important de revisiter la liste de David Elazar des onze options fédérales, publiée il y a deux décennies et de prendre en compte les développements qui ont renforcé la viabilité de sa première option, une fédération israélo-palestinienne, et disqualifié les autres. [7] Ses options allaient depuis une organisation israélo-palestinienne exclusive (1-4), une organisation entre Israël et la Jordanie incluant les Palestiniens (5-6), l’absorption par Israël des territoires occupés (7-8) et une organisation multilatérale avec des partenaires de la région sur une base limitée (9-11). Avec l’affirmation récente de l’identité nationale palestinienne à travers l’Intifada (le soulèvement palestinien) de 1987 à 1991 et de 2000 jusqu’à aujourd’hui, la séparation du lien entre la Jordanie et la Cisjordanie en 1988, le processus de paix israélo-palestinien qui conduisit à la création de l’Autorité palestinienne, le Conseil législatif national et la réalisation d’élections parlementaires et législatives disputées en 1996 et 2006, il est aujourd’hui inconcevable de ne pas considérer les Palestiniens comme un partenaire national à égalité. [8] Cela invalide les autres options incluant les Palestiniens dans un plan de paix général israélo-jordanien, affirmant un contrôle israélien sur les territoires occupés ou concluant des accords multilatéraux régionaux limités. La remarquable identité politique palestinienne a démontré qu’elle était très déterminée et énergique. Ces mêmes développements apportent un soutien supplémentaire à l’option d’une fédération israélo-palestinienne bi-nationale, bilingue, bi-communautaire et bi-étatique, avec Jérusalem comme siège du gouvernement fédéral. Une confédération entre les deux laisserait les deux parties avec de sérieuses préoccupations sécuritaires et une tension continuelle lorsque chaque communauté, insatisfaite de la « moitié » qu’elle aurait obtenu, regardera la « moitié » qu’elle a perdu. Une solution fédérale utilisant des éléments à la fois de « gouvernement séparé » et d’ « auto-gouvernement » est l’option la plus viable. Elle donnerait à chaque partie un sentiment d’identité territoriale avec des droits garantis par une constitution qui ne serait pas amendée par un groupe qui obtiendrait la majorité dans un Etat unitaire. En ayant une union fédérale gérant les deux pays d’Israël et de Palestine, cela permettrait à chacun des membres de cette union de revendiquer le pays dans son ensemble comme étant le leur et dans le même temps cela garantirait à chaque communauté un Etat territorial séparé avec ses propres lois qui s’appliqueraient.
Une telle solution supposerait que chaque partie reconnaisse l’autre comme une nation égale. Les relations communautaires qui existaient durant les siècles de domination ottomane [9] et durant une bonne partie du 20° siècle [10] pourraient servir en tant qu’expérience historique commune sur laquelle construire, comme la « disqualification de l’intégration nationale, la partition, la double autorité et le contrôle comme mécanismes pour la résolution des conflits, nous amènent à examiner différentes organisations de gouvernement partagé comme une base viable pour la stabilité politique. [11]
Le leadership israélien et l’opinion publique se réfèrent au problème du soulèvement palestinien en tant que violence inter-communautaire alors que cela masque la négation d’un nationalisme palestinien et ils sont en faveur de solutions fédérales, mais dans le contexte d’une « autonomie » sous contrôle israélien ou d’une « entité » palestnienne incorporée à la Jordanie. [12]
Certains, par ailleurs, ne sont pas d’accord que le fédéralisme puisse opérer en tant que solution au conflit israélo-arabe et croient que « des avancées à petits pas » sont plus sûres et plus réalisables. [13]
La fédération pourrait être parlementaire et agglomérer les systèmes parlementaires actuels d’Israël et de l’Autorité palestinienne. Une union d’Israël et de la Palestine basée sur l’expérience du Royaume uni pourrait éviter les problèmes liés à la classification de la fédération soit comme juive, soit comme arabe, tout en préservant cette identité au niveau de l’Etat. Une identité politique légère associée à la fédération permettrait à la fois aux Juifs et aux Arabes de conserver leurs propres symboles nationaux à travers lesquels chacun est associé et l’autre exclu. [14]
Une constitution fédérale définirait la distribution des pouvoirs et des fonctions et, comme il s’agirait d’une fédération bi-communautaire composée de deux communautés nettement différentes, il faudrait maintenir un équilibre entre asymétrie et égalité.
C’est similaire au débat qui se déroule au Canada sur le Québec et on bénéficierait de la notion de la concurrence et de la prédominance provinciale, avec une distribution symétrique mais une application asymétrique. [15] Chacun disposerait de la souveraineté dans ses territoires dans des domaines spécifiques tels que l’éducation, la culture, le droit, la santé, la police, tandis que les autres seraient laissés au gouvernement fédéral. La liberté de mouvement et d’installation serait garantie et il serait possible d’autoriser des restrictions pour un temps limité dans un but particulier. La nécessité d’une application asymétrique est essentielle pour prendre en compte la structure asymétrique du pouvoir et de la relation entre les deux communautés ainsi que leurs rapports avec leurs « diasporas » respectives.
La Belgique apporte un autre outil original pour une fédération non territoriale. [16]. Les Juifs comme les Palestiniens pourraient avoir leurs droits qui les suivraient où qu’ils soient. Cela pourrait résoudre le problème de la minorité juive restant dans l’Etat palestinien mais qui refuserait d’être soumise aux lois palestiniennes. De la même manière, cela pourrait résoudre le problème des Palestiniens résidant en Israël et qui préfèraient obéir aux lois palestiniennes. D’un point de vue israélien, une fédération non-territoriale serait moins menaçante pour la sécurité de l’Etat car elle éviterait les revendications territoriales de la population arabe qui, dans cette perspective, serait partagée et ne constituerait pas un corps cohérent. [17]
Une organisation fédérale traditionnelle ne permettrait pas que les entités constituant la fédération aient un rôle formel dans les affaires étrangères et les relations internationales, mais cela est en train de changer. [18] L’Etat palestinien pourrait être représenté au sein de la Ligue arabe en tant qu’Etat arabe, discuter et voter sur des questions qui relèvent directement de sa souveraineté telles que l’éducation, la culture et la santé. Seules les questions politiques seraint exclues parce que le gouvernement fédéral devrait en être responsable. La même chose s’appliquerait à l’Etat des Israéliens. Les Etats palestinien et israélien pourraient tous les deux avoir des bureaux commerciaux à l’étranger pour s’occuper de leur commerce, promouvoir des investissements ou le développement de ressources naturelles, en coopération avec le gouvernement fédéral en tant que de besoin.
Avec une solution politique fédérale praticable, la force de chaque communauté -que l’autre a essayé de saper- pourrait devenir une valeur ajoutée pour une coopération et un développement partagés à leur bénéfice mutuel. Surtout, cela aurait un effet positif de domino sur la politique générale et le développement économique du Moyen-orient en supprimant un catalyseur de conflit qui contribuait à empêcher le progrès, la paix et la démocratisation. [19]